- ÉTERNITÉ
- ÉTERNITÉÉTERNITÉUne durée indéfinie, un temps qui ne commence ni ne finit, n’est pas l’éternité. Selon les formules de Boèce, qui ont fait école, l’éternité est un présent qui se maintient stable, un permanent, un pur «maintenant»; pour qu’il y ait éternité, il ne suffit pas, assure Boèce, de parcourir successivement les parties d’une existence sans terme (ce que Platon et Aristote attribuent au monde), il faut embrasser une existence infinie tout entière également présente (ce qui est le privilège de la divinité). Ce genre de définition a l’inconvénient de laisser croire que l’on s’aventure à penser l’éternité par-delà le temps, comme si la conscience pouvait cesser d’être temporelle, même lorsqu’elle domine et juge le flux de la durée. C’est pourquoi de nombreux philosophes préfèrent n’envisager que la corrélation temps-éternité. Pour Louis Lavelle, par exemple, l’éternité est bien un éternel présent, un pur «maintenant», mais accessible par négation de ce qu’il y a de négatif dans le temps, sans que cette négation soit celle du temps lui-même. C’est à l’intérieur de la durée qu’on retrouve l’éternel présent, dont le temps n’est qu’une expression affaiblie, une expression qui ne va pas sans perte. La philosophie contemporaine est résolument temporaliste: c’est dans le devenir et dans l’histoire qu’elle engage toute dialectique; elle n’a que faire d’une éternité qui, pour elle, est tout entière mythique. On notera pourtant que le structuralisme, en exaltant la synchronie (le système), en tenant pour subordonnée la diachronie (l’évolution), restaure implicitement, comme tous les logicismes, le primat d’une certaine éternité, au sens de vérité anhistorique. Aussi bien le couple conceptuel temps-éternité, que d’aucuns estiment démodé, marque-t-il la double polarité qui commande les oscillations de grandes doctrines.• XIIe; lat. æternitas, de æternus→ éternelI ♦ (Pris absolt)1 ♦ Durée qui n'a ni commencement ni fin, qui échappe à toute détermination chronologique (surtout dans un contexte religieux). Il songeait « à l'éternité future, étrange mystère; à l'éternité passée, mystère plus étrange encore » (Hugo). « Quelle liberté peut exister au sens plein, sans assurance d'éternité ? » (Camus).2 ♦ Durée ayant un commencement, mais point de fin; relig. La vie future. ⇒ immortalité. Songez à vous préparer pour l'éternité. « Bientôt mes yeux aussi se fermeront pour l'éternité » (France). — Gloire immortelle. Entrer dans l'éternité.3 ♦ Par exagér. Un temps fort long. Cela a duré une éternité. Cela fait une éternité que je ne l'ai pas vu. — (Plur. emphatique) Il y a des éternités que tu m'as promis de le faire.4 ♦ DE TOUTE ÉTERNITÉ : depuis toujours, de temps immémorial. ⇒ éternellement (cf. De tout temps). De toute éternité, les hommes ont cru à une vie après la mort (cf. Depuis que le monde est monde).II ♦ Didact. Caractère éternel. L'éternité de Dieu. L'éternité d'une vérité. « soit que j'aie admis ou rejeté l'éternité de la matière » (Voltaire). ⊗ CONTR. Brièveté.Synonymes :- immortalitééternitén. f.d1./d Durée sans commencement ni fin. Le temps se perd dans l'éternité.d2./d Durée sans fin, ayant eu un commencement.— Songer à l'éternité, à la vie éternelle, à l'au-delà.d3./d Fig. Temps très long.— De toute éternité: depuis toujours.— Fam. Il y a une éternité que...: il y a longtemps que...d4./d Caractère de ce qui est éternel, immuable. L'éternité de ces vérités.⇒ÉTERNITÉ, subst. fém.A.— 1. Ce qui n'a ni commencement ni fin. L'immobile éternité, incompréhensible comme l'éternité. Dieu est de toute éternité (Ac.). Ils croyaient [les mages], dit Chardin, à l'éternité d'un premier être, qui est la « lumière » (DUPUIS, Orig. cultes, 1796, p. 318). En chinois l'idée d'éternité est exprimée par le caractère « eau » avec un point au-dessus (CLAUDEL, Art poét., 1907, p. 194) :• 1. Éternité de l'essence pensante. (...) les vérités « immortelles » sont soustraites au devenir : elles voudraient mourir qu'elles ne le pourraient pas! Leur éternité est donc toute positive.JANKÉL., La Mort, Paris, Flammarion, 1966, p. 355.2. Durée qui a un commencement, mais pas de fin. Dieu existe, la mort vient, l'éternité va commencer (FLAUB., Tentation, 1849, p. 334). Il ne faudra pas moins que l'éternité pour admirer la beauté absolue, indicible des choses (BLOY, Journal, 1903, p. 169) :• 2. ... je ne demandais rien de plus à Dieu, s'il existe un paradis, que d'y pouvoir frapper contre cette cloison les trois petits coups que ma grand'mère reconnaîtrait entre mille, (...) et qu'il me laissât rester avec elle toute l'éternité, qui ne serait pas trop longue pour nous deux.PROUST, Sodome, 1922, p. 763.— En partic. La vie future. Éternité bienheureuse, malheureuse; une éternité de béatitude. Sortez du temps, entrez d'avance dans cette éternité que vous devez habiter un jour (LAMENNAIS, Lettres Cottu, 1822, p. 127). C'est le bien-être de la tombe où je vais goûter l'éternité avec tout ce que j'ai de meilleur (BARRÈS, Cahiers, t. 1, 1896-98, p. 51) :• 3. Pour lui, le dilemme de Pascal n'existait plus. Il écrivait : « À miser sur l'éternité, de toute façon je gagne, puisque je m'assure dans le renoncement le seul bonheur terrestre possible... »VAN DER MEERSCH, Invas. 14, 1935, p. 298.♦ Expr. Être sur le rivage, sur le seuil, au bord de l'éternité. Être sur le point de mourir. Ici c'est une chose plus sublime, c'est le mourant qui parle de la mort. Aux portes de l'éternité, il la doit mieux connaître qu'un autre (CHATEAUBR., Génie, t. 2, 1803, p. 395).— P. ext. Gloire durable dévolue à un héros, un chef, un grand artiste, etc. Entrer dans l'éternité. Synon. immortalité.3. P. hyperb. Temps très long. Il y a une éternité que je vous attends. Cette maison durera une éternité (BESCH. 1845). C'est vrai, Odette, il y a des siècles, des éternités que je ne vous ai vue (PROUST, J. filles en fleurs, 1918, p. 597) :• 4. Ce petit mot, mis à la poste tout simplement, vous arrivera vite. À Berlin, l'éternité se passait avant que l'on reçut des nouvelles de ses amis.CHATEAUBR., Corresp., t. 3, 1822, pp. 3-4.— Loc. De toute éternité. De temps immémorial. Cela est là de toute éternité (Ac.). Gérard, persuadé que s'unissent dans l'amour des êtres promis l'un à l'autre de toute éternité... (DURRY, Nerval, 1956, p. 122).B.— 1. Qualité de ce qui est éternel. L'éternité de l'âme, de Dieu. Platon démontre l'éternité de l'être, et, par conséquent, notre immortalité (P. LEROUX, Humanité, t. 2, 1840, p. 349) :• 5. ... qui parle mieux à l'âme d'éternité que le flot sans cesse recommencé, que l'océan inlassable, dont chaque vague succède à la précédente, sans début ni fin?HUYGHE, Dialog. avec visible, 1955, p. 33.2. Expérience subjective de cette qualité dans le temps. L'éternité dans l'instant, une minute d'éternité. Elle est retrouvée. Quoi? — L'éternité. C'est la mer allée Avec le soleil (RIMBAUD, Dern. vers, 1872, p. 160). Cette divine éternité d'un quart d'heure qui s'appelle la « Ballade en fa dièse » de Gabriel Fauré (JANKÉL., Je-ne-sais-quoi, 1957, p. 44) :• 6. L'éternité a duré une minute. Un autre courant d'idées vous emporte (...). On vit plusieurs vies d'homme en l'espace d'une heure.BAUDEL., Paradis artif., 1860, p. 338.Rem. On rencontre ds la docum. a) Éternalisme, subst. masc. Attitude morale qui pose la réalité de l'éternité. Une voie du milieu (...) avait été préconisée par le buddha de la tradition entre les extrêmes soit éthiques, ascétisme et hédonisme, soit philosophiques, éternalisme et nihilisme (Philos., Relig., 1957, p. 5215). b) Éternisme, subst. masc. ,,Idée d'un instant infini, ayant une valeur d'éternité`` (J. GUITTON, Essai sur l'amour humain, 1938, p. 66, cité par RHEIMS 1969). Une perpétuelle négation du présent n'introduit pas non plus l'éternité dans le temps, comme le feint l'« éternisme morose » (MOUNIER, Traité caract., 1946, p. 321). c) Éternitaire, adj. Qui a le caractère permanent, intemporel d'une essence éternelle. La vocation éternitaire de la pensée est ainsi brutalement démentie par la mort du penseur (JANKÉL., op. cit., p. 376).Prononc. et Orth. :[
]. Noter une différence quant au timbre de la seconde voyelle entre FÉR. 1768 et FÉR. Crit. t. 2 1787 : ,,è moyen``, ,,ê ouvert``. Même observation en ce qui concerne éternel, éternellement, éterniser. Enq. : /
/. Ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. Ca 1175 eternitez (B. DE STE-MAURE, Ducs Normandie, éd. C. Fahlin, 26103). Empr. au lat. class. aeternitas, -atis, de même sens. Fréq. abs. littér. :2 821. Fréq. rel. littér. :XIXe s. : a) 4 325, b) 3 230; XXe s. : a) 4 127, b) 4 092. Bbg. DARM. Vie 1932, p. 47.
éternité [etɛʀnite] n. f.ÉTYM. V. 1175, éternitez; lat. æternitas « éternité », de æternus. → Éternel.❖———I (En emploi absolu).1 Durée qui n'a ni commencement ni fin, qui échappe à toute détermination chronologique (surtout dans un contexte religieux). → Durée, cit. 2. || La notion de Dieu implique l'éternité. || L'idée de l'éternité est innée dans la conscience humaine. || De toute éternité : immémorialement. || Dieu en a voulu ainsi de toute éternité.1 Ô grande Éternité, éternels sont tes faits ! (…)Tu es toute dans toi, ta partie et ton tout,Sans nul commencement, sans milieu, ni sans bout,Invincible, immuable, entière et toute ronde,N'ayant partie en toi qui en toi ne réponde,Toute commencement, toute fin, tout milieu,Sans tenir aucun lieu, de toutes choses lieu (…)Ronsard, Hymnes, I, « De l'éternité ».2 Vous avez vu clair et dans la vanité de toutes les choses humaines et dans les grandes vérités de l'éternité.3 (…) nous voyons que son heure était marquée de toute éternité (…)Mme de Sévigné, 635, 10 août 1677.4 Le temps, cette image mobileDe l'immobile éternité.J.-B. Rousseau, Odes, III, II, « À M. le Prince de Savoie ».5 La notion de l'infini nous arrive du monde extérieur; la notion de l'éternité se dégage pour nous du monde intérieur.Hugo, Post-scriptum de ma vie, De la vie et de la mort.6 Il songeait à la grandeur et à la présence de Dieu : à l'éternité future, étrange mystère; à l'éternité passée, mystère plus étrange encore; à tous les infinis qui s'enfonçaient sous ses yeux dans tous les sens; et, sans chercher à comprendre l'incompréhensible, il le regardait.Hugo, les Misérables, I, I, XIII.6.1 L'éternité m'apparaît sous la figure d'un éther immobile, et qui par suite n'est pas lumineux. J'appellerai circulaire mobile et périssable l'éther lumineux. Et je déduis d'Aristote (Traité du ciel) qu'il sied d'écrire ÉTHERNITÉ.A. Jarry, Gestes et Opinions du docteur Faustroll, Pl., p. 726.7 Des millions d'ancêtres viendront témoigner à la barre de l'éternité qu'ils nous ont transmis des inclinations qu'eux-mêmes avaient reçues de leurs pères.F. Mauriac, Souffrances et bonheur du chrétien, p. 60.8 Quelle liberté peut exister au sens plein, sans assurance d'éternité ?Camus, le Mythe de Sisyphe, p. 81.2 (1647). Durée ayant un commencement, mais point de fin. — (1688). Relig. La vie future. || Songez à vous préparer pour l'éternité. || L'Éternité bienheureuse. || L'Éternité malheureuse. — ☑ Loc. (relig. ou littér.). Être au bord, au seuil de l'éternité. ☑ Être sur le rivage de l'éternité.9 (…) j'ai trouvé mon pauvre Saint-Aubin trop près du grand voyage de l'éternité.Mme de Sévigné, 1088, 15 nov. 1688.10 L'infinie bonté que j'ai rencontrée en ce monde m'inspire la conviction que l'éternité est remplie par une bonté non moindre, en qui j'ai une confiance absolue.Renan, Souvenirs d'enfance…, VI, V.11 Bientôt mes yeux aussi se fermeront pour l'éternité, sans que j'en aie appris beaucoup plus que toi (un petit chien) sur la vie et la mort.France, le Petit Pierre, XIV.♦ (XVIIe). Mémoire, gloire immortelle. || Entrer dans l'éternité (par une œuvre), dans l'immortalité.12 Certes, il est beau de rêver l'éternité, mais il suffit à l'honnête homme d'avoir passé en faisant son œuvre.Zola, Discours à la jeunesse, « Écho de la Semaine » du 28 mai 1893.13 L'éternité n'est point dans vos apothéoses;Et Dieu ne l'a donnée à rien, pas même aux roses.Hugo, la Légende des siècles, XX, III.14 L'artiste connaît l'éternelle illusion; et il fait semblant de compter sans elle. Il s'enivre de cette feinte surhumaine; il construit pour l'éternité des demeures qu'il sait lui-même faites de fumée, et fondées sur le rêve. L'art est tout humain; et la science est inhumaine.André Suarès, Trois hommes, « Ibsen », III.3 Un temps fort long. || Cela a duré une éternité. || Cette heure d'attente m'a paru une éternité. || Il y a une éternité que je ne l'ai vu. — (Plur. emphatique). || Il y a des éternités que tu m'as promis de le faire.15 Ah ! combien ces moments de quoi vous me flattezAlors pour mon supplice auraient d'éternités !Corneille, Héraclius, III, 1.16 Ces sortes de petits procès dans un lieu où l'on n'a rien autre chose dans la tête, font une éternité d'éclaircissements qui font mourir d'ennui.Mme de Sévigné, 143, 11 mars 1671.17 La fièvre s'éveillait en lui, des gens qui l'ont échappé belle et entrevoient des éternités de vie pour avoir coudoyé la mort d'un peu près.Courteline, Messieurs les ronds-de-cuir, 6e tableau, II.17.1 Le syndicat vient de décider la grève… Pas beaucoup de commandes en ce moment, le père Morel n'est pas prêt de céder… ça peut durer des éternités comme en 1947, quand on est resté neuf semaines en grève (…)Roger Vailland, 325 000 francs, p. 193.4 ☑ De toute éternité : depuis toujours, de temps immémorial. || De toute éternité les enfants ont pensé mieux faire que leurs parents. → Depuis que le monde est monde.———II Qualité de ce qui est éternel. || L'éternité de…1 (Hors du temps). || L'éternité de Dieu. || L'éternité d'une vérité. Philos. || Éternité du monde, de la matière.18 (…) soit que j'aie admis ou rejeté l'éternité de la matière, je ne peux rejeter l'existence éternelle de son artisan suprême (…)Voltaire, le Philosophe ignorant, XVI.2 (De tout temps). || L'éternité des saisons, de l'amour, d'un problème humain.♦ Par exagér. (en parlant de qqch. qu'on désespère de voir finir). || L'éternité d'une souffrance, d'un mal.❖CONTR. Brièveté.
Encyclopédie Universelle. 2012.